L'invité du mois : Jean Hermetz, de l'Onera

Le 13 octobre, Skywin organisait le séminaire « Hybridation, électrification et décarbonisation des avions ». Le but poursuivi était triple. Tout d’abord conscientiser et informer les membres de Skywin sur une transformation technologique majeure pour le secteur aéronautique, transformation que la pandémie actuelle a encore accélérée. Ensuite profiter de ce challenge pour associer à l’écosystème de Skywin des partenaires qui ne sont pas encore directement liés au monde aéronautique, comme des acteurs de l’énergie ou de la filière hydrogène. Enfin susciter via des tables rondes de nouveaux projets collaboratifs entre grandes et petites entreprises, centres de recherche ou universités, pour permettre à la filière aéronautique wallonne, historiquement très importante, forte de plus de cent membres et pesant en 2019 plus d’1,5 milliard de chiffre d’affaire, de s’inscrire de façon importante dans ce nouveau challenge européen.

Malheureusement, la recrudescence du Covid-19 a obligé Skywin à transformer son séminaire en webinaire pour la partie exposés, et à reporter les rencontres prévues autour des nouveaux projets collaboratifs… 

Parmi les orateurs, Jean Hermetz, responsable des nouvelles configurations d’avion à l’Office national d'Études et de Recherches aérospatiales – Onera – français, a présenté un exposé intitulé « L’électrification de l’aviation : contexte, problématique et perspectives ». Rencontre… 

 

La France a fait de l’avion « zéro carbone » une de ses priorités, et avance 2035 pour son envol. Le délai est-il réaliste ?

Cela dépend de la mobilisation qui entourera le projet, tant du côté de la recherche que de celui de l’industrie. Pour nous, ce délai est crédible. C’est une question d’efforts et d’orientation des crédits. Toute la filière aéronautique devra se mobiliser autour de cet objectif. D’un point de vue technologique, ce défi est éminemment complexe. D’un point de vue organisationnel et du côté des infrastructures, il y a également beaucoup à construire. Mais les pistes existent. Il faut se retrousser les manches…

Les avions actuellement en service ont une durée de vie qui s’étale jusque 2060. Comment voyez-vous le passage de flambeau ?

Il faut voir les capacités des compagnies aériennes à renouveler leur flotte pour acquérir des avions plus vertueux. D’éventuelles régulations pourraient les aider à franchir ce pas. Si on maintient les avions actuels jusque 2060 et que nous revenons dans la croissance prévue avant la crise du Covid-19, nous aurons effectivement des difficultés pour changer l’orientation actuelle et arriver à la neutralité carbone. Il faut un renouvellement des flottes, avec des mesures incitatives qui encourageront le virage zéro carbone. Je pense que l’intérêt des compagnies penche vers ce principe : la pression de la société va dans ce sens.

Quand on parle d’avions électriques, on se limite à des modèles assez petits. Se dirige-t-on vers la cohabitation de modèles électriques pour des vols régionaux sans trop de passagers et des vols long courrier reposant sur la technologie actuelle toujours améliorée ? Mais le cas échéant, n’y a-t-il pas un problème de rentabilité à développer les deux modèles ? 

C’est difficile à dire… La rentabilité d’une technologie dépend de l’évolution de la demande, tant professionnelle que de loisirs. Mais on note de nouveaux usages de l’aéronautique, comme le transport à la demande, qui existe déjà sur terre. Ce transport à la demande va amener beaucoup plus d’appareils de petites capacité dans le ciel. Mais il est évidemment exclu que ces appareils, de plus en plus nombreux, entravent la marche vers la décarbonation. La solution électrique s’imposera pour ce type de transport. 

La densité de puissance des sources d’énergie dans le domaine électrique est très loin d’avoir les caractéristiques du kérosène : on ne peut pas attendre de l’électrique les mêmes performances que les motorisations actuelles en termes de performance, notamment en termes de distances franchissables. On devrait donc effectivement évoluer vers de relativement petits appareils pour de courtes distances tandis que les longs trajets seront effectués par des appareils plus conventionnels, mais améliorés d’un point de vue aérodynamisme et de masse. Et ceux-ci pourraient recourir à des solutions de type hydrogène… C’est difficile de dire, à présent, et avec certitude, comment l’aéronautique va évoluer. Si on parvient à effectuer les efforts nécessaires dans les technologies hydrogène, je pense que celles-ci s’imposeront. Un avion de type A320 pourrait donc voler à l’hydrogène. Airbus a d’ailleurs communiqué sur ce sujet. 

On a beaucoup parlé des 15 milliards dédiés au secteur par l’État français, mais les recherches étaient déjà bien avancées… Un avion électrique a déjà été homologué et, aux USA, une compagnie projette d’utiliser commercialement un avion électrique d’une quinzaine de passagers… Est-ce que tout les chercheurs avancent avec les mêmes technologies ? Ou chacun avance-t-il de son côté en attendant de voir laquelle triomphe ? 

Effectivement, il existe plusieurs approches. L’avion certifié est un biplace d’écolage d’un constructeur pragmatique qui a remplacé la motorisation classique par un moteur électrique avec batterie. Comme l’ont fait des constructeurs automobiles en électrifiant leurs véhicules existants. Cette approche pragmatique présente l’avantage de la confrontation au modèle électrique et permet d’apprendre. Par contre, on arrive rapidement à un constat : si on ne repense pas l’avion en fonction de la manière dont on veut le propulser, avec sa source d’énergie, on passe à côté d’avantages inhérents à la solution envisagée. Il faut donc assez rapidement repenser l’avion. Une première génération vient de cette approche pragmatique, puis d’autres génération suivent. C’est là qu’apparaît la propulsion distribuée : disposer de plus de propulseurs permet d’améliorer le rendement propulsif (moins d’énergie consommée) ainsi que la sécurité du vol et permet d’accéder à d’autres avantages opérationnels. 

Plusieurs techniques permettent de tendre vers la décarbonation (électricité, hydrogène, carburants verts…). Quelle est votre préférence ? 

Il faut garder le spectre le plus large possible. Tant qu’une technologie n’est pas maîtrisée, le bénéfice qu’on peut en attendre n’est pas certain… Donc on ne peut pas se permettre aujourd’hui de faire l’impasse sur certaines solutions. Cependant, on remarque de grandes tendances. Le solaire n’est pas une solution pour la propulsion évidemment, mais peut être un contributeur pour des postes annexes. Il ne faut donc pas l’exclure. En recherche, on doit évaluer toutes les solutions possibles pour dégager le meilleur potentiel.

Où en sont les projets Ampère et Dragon ?

Le point commun évident entre ces deux projets est la propulsion utilisant des fans électriques, des sortes de petites hélices carénées. Ampère est un petit avion qui répondra à l’avion « à la demande », le marché émergent de l’aéronautique, alors que Dragon vise le « short medium range », soit le créneau occupé par l’A320 ou le Boeing 737, donc des avions d’environ cent-cinquante passagers qui volent sur des distances inférieures à 5000 km. Ce sont deux projets différents qui demandent des solutions technologiques différentes. Pour Ampère, on a surtout regardé dans quelle mesure la solution de l’électrification combinée à la propulsion distribuée apportait une réponse à ce besoin de transport à la demande, en sécurité, sans émissions polluantes et facilement opérable, c’est-à-dire permettant des décollages et des atterrissages proches des zones urbaines et surtout sur des distances courtes, de l’ordre d’un grand terrain de football. Avec ses moteurs sur l’aile, la capacité à générer du soufflage sur la voilure permet d’augmenter la portance à basse vitesse de vol, et donc d’atterrir et décoller très court. 

C’est l’illustration de ce que je disais : en repensant l’avion en fonction de ce peut apporter la propulsion telle qu’envisagée à travers l’électrification, on bénéficie d’effets secondaires avantageux tant pour l’opérationnel que pour le rendement. Dans ce cas précis, avec les décollages et atterrissages réduits, il s’agit plutôt d’un avantage opérationnel. 

Quant au projet Dragon, il va plutôt chercher à améliorer le rendement propulsif, soit consommer le moins d’énergie possible. Le meilleur moyen, c’est d’augmenter le taux de dilution, qui se traduit par l’accroissement du diamètre des moteurs classiques. Sauf que quand vous augmentez le diamètre de ces fans, vous arrivez à des diamètres tellement importants qu’il n’est plus possible de les installer sous la voilure d’un avion. Un autre moyen d’améliorer ce rendement propulsif, c’est de disposer d’un grand nombre de petits moteurs. Mais s’il s’agit de moteurs thermiques classiques, le rendement de combustion est dégradé. Par contre, si on utilise des petits fans électriques, on évite cette problématique de baisse de rendement. Un petit moteur électrique peut avoir un excellent rendement, pas un petit moteur thermique. Pour alimenter ces moteurs électriques, on va avoir besoin d’une architecture électrique pour amener l’énergie fournie par les générateurs. Et là, en plus d’être complexe, c’est une sérieuse masse… Cet avion sera plus lourd qu’un avion conventionnel, mais disposera d’une meilleure propulsion. L’objectif du projet Dragon, c’est de vérifier que le jeu en vaut la chandelle. D’après nos études, le bilan est nettement positif. 

Une collaboration plus poussée est-elle prévue avec d’autres pays européens ? On sait que l’Allemagne s’est également lancé des objectifs liés à l’hydrogène…

Les collaborations existent déjà à travers les programmes internationaux, dont Cleansky est le principal. Dragon est mené dans le cadre de Cleansky 2, et nous travaillons avec une série de partenaires. Pour la suite, il faut distinguer deux étapes. La poursuite de la partie « recherche » se mènera toujours dans le cadre de CleanAviation, ce qui devrait conduire à des compositions de consortiums européens. La seconde étape est le passage dans le monde de l’industrie, sous la houlette des grands acteurs européens, dont évidemment Airbus pour l’avion en lui-même, Safran pour la motorisation, et d’autres industriels… 

Arnaud COLLETTE

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