L’invité du mois : Emilien Watelet, directeur d’ID2Move
Entré chez ID2Move en 2020, Emilien Watelet, détenteur d'un master en management avec une spécialisation en droit de l'Université de Namur, en a repris la direction avec un credo : l'accompagnement de projets innovants. ID2Move est devenu une des zones de tests pour drones les plus importantes d'Europe. Son avantage ? La diversité de ses 600 hectares autour de Nivelles (zone agricole, zone urbaine, zone militaire, voies de chemins de fer...)
Si vous croisez le jeune directeur d’ID2Move cette semaine, vous pouvez encore lui souhaiter un bon anniversaire : il fête ses 37 printemps… Et en 37 ans, le Sambrevillois a bien bourlingué. Il mène des études à l’Université de Namur, dans la section qu’on appelait encore à l’époque les Sciences de gestion, et y décroche un master en management avec une spécialisation en droit. Diplôme en poche, il s’expatrie comme business développer pour une boîte wallonne aux USA.
Mais il rentre au pays rapidement, et entre chez l’ancêtre de Charleroi Entreprendre, Héraclès. Au menu, l’accompagnement d’entreprises, avec un focus sur l’innovation. Il travaille dans cette structure une douzaine d’années, et le tissu carolo le porte très vite vers l’aéronautique, à travers les projets suivis. Notamment le programme EEN (Entreprise Europe Network), repris depuis par l’Agence wallonne à l'Exportation et aux Investissements étrangers (Awex). « J’ai fait partie d’un groupe de travail de la Commission dédié à l’aéronautique et au spatial. J’ai fini par en prendre la tête et le groupe a évolué vers les compétences aéronautique – spatial – défense – drones. Qui sont les domaines d’activités actuels du pôle Skywin. J’ai géré un groupe de vingt-cinq régions actives dans ces domaines » explique Emilien Watelet.
En 2020, notre invité rejoint ID2Move, toujours dans une optique d’accompagnement de projets innovants, que ce soient des porteurs de projets en phase de création d’entreprise ou des entreprises existantes désireuses de développer un nouveau projet. Emilien Watelet prend la direction de la structure nivelloise à la suite du départ de son directeur avec une priorité : « ne plus se focaliser uniquement sur les drones mais replacer le focus sur les systèmes autonomes, qu’on divise en trois parties : la partie drones 'classiques', la partie sol (robots et véhicules) et la partie marine ou sous-marine. Cette dernière partie étant très peu développée pour le moment ». Dans l’activité d’ID2Move, on relève respectivement 90%, 9% et 1% pour chaque partie.
Emilien Watelet explique ainsi la prédominance du drone : « son histoire est plus ancienne et il est à la portée des plus petites entreprises. C’est facile pour une PME d’acquérir un drone et de développer des services. Pour les véhicules, de grosses entreprises bossent dessus depuis longtemps et n’ont pas besoin de structures comme la nôtre. Nous nous focalisons sur la recherche, où nous pouvons apporter une plus-value, notamment en travaillant avec les universités ».
Plus précisément, ID2Move travaille avec deux profils différents. « On a d’abord les personnes mais surtout des entreprises qui sont ou veulent être actives dans les systèmes autonomes, explique le directeur. Cette entreprise veut croître, c’est-à-dire développer de nouveaux produits ou services, partir à l’international, lever des fonds, recruter des spécialistes… Pour cela, elles ont besoin d’accompagnement, et nous les coachons. A côté de ce profil, nous avons des entreprises plus matures qui s’intéressent aux systèmes autonomes mais qui n’y connaissent rien ‘On pense qu’un drone pourrait nous aider dans notre travail mais on ne sait pas très bien comment procéder, ni avec qui’. Nous pouvons les éclairer sur les possibilités qui s’offrent à elles. »
Deux profils, et trois formules… Soit l’entreprise prend un bureau chez ID2Move et bénéficie de ses services ; soit l’entreprise devient membre et prend un abonnement annuel qui lui permet de bénéficier des services à coûts réduits ; soit encore l’entreprise vient en « one shot » pour un projet et une durée précise et paie le prix plein.
« Pour le moment, nous avons trois hébergés, une trentaine de membres et une quinzaine d’entreprises au coup par coup. A côté de cette version officielle, il y a les renseignements qu’on délivre. Par exemple, un agriculteur m’a appelé pour des infos sur l’épandage par drones. Il m’a tenu une demi-heure au téléphone. Ce n’est pas un membre et ne le sera jamais, mais on rend service » sourit Emilien Watelet.
La zone de tests la plus diversifiée d’Europe
Mais ces entreprises, que trouvent-elles exactement chez ID2Move ? Simplement la zone de tests la plus diversifiées d’Europe. « Cette zone, de près de 600 hectares autour de Nivelles, on peut la fermer à la demande, précise le directeur. Et elle contient une zone industrielle, une zone agricole, une zone urbaine, une zone militaire, des voies de chemins de fer, une voie routière rapide. Aucune zone de teste en Europe permet une telle diversité sur une aussi petite surface au sol. » Cette diversité est évidemment primordiale. Et explique que des acteurs étrangers s’intéressent à ID2Move. « Essentiellement des Français pour le côté ‘relations et développement commercial’. On a une délégation finlandaise qui va arriver. Ils détiennent la plus grande zone de tests d’Europe, mais c’est de la neige et c’est tout plat… Ils ont donc besoin d’autres reliefs » poursuit Emilien Watelet.
Cet aspect international est très présent chez ID2Move, notamment à travers les projets. « Nous sommes très impliqués dans les projets, que ce soient les projets wallons à travers le pôle Skywin ou des projets européens, comme les H2020... Nous sommes d’ailleurs actuellement sur un projet européen avec des Italiens et des Espagnols. L’objectif est de stimuler l’innovation en mettant en contact des entreprises entre elles ou des entreprises avec des universités. Des entreprises sont actives dans les drones et remarquent qu’elles se trouvent devant une barrière technique. On les met en contact avec des services universitaires – l’ULB dispose d’ailleurs de bureaux chez nous mais on travaille avec l’ensemble des universités francophones – pour les aider à dépasser leurs problèmes. Mais il existe un second axe : la mise en relation d’entreprises qui développent des choses complémentaires mais auxquelles on ne pense pas d’emblée. Le drone n’est finalement qu’un outil. Cet outil doit trouver ses applications. Et on dit dans le milieu que 85% des applications n’ont pas encore été développées. Tout simplement parce celui qui a le besoin n’a pas encore pensé au drone ; et celui qui a le drone n’a pas encore pensé qu’il pouvait répondre à certains besoins. Notre rôle de réseautage est donc fondamental pour la mise en place de cet écosystème. On a donc dans nos membres des entreprises très éloignées des drones. On intervient dans la chaîne de valeur du drone » développe notre invité.
Ces axes de travail sont impossibles sans un réseautage efficace. ID2Move organise divers événements, « et quand nous détectons un projet intéressant, nous essayons de le faire entrer dans un projet du pôle Skywin, ou dans un projet européen avec des partenaires étrangers ». Plus précisément, trois événements de réseautage sont organisés annuellement, durant lesquels sont présentées des thématiques de recherches et/ou des entreprises performantes dans leur domaine. Et une fois par an est organisé un événement de plus grande envergure, qui regroupe plus de cent participants. Le prochain aura lieu le 19 mai (voir article par ailleurs dans cette newsletter).
Une année sur deux, l’accent est mis sur la technique, l’autre année sur la recherche, avec les universités et les centres de recherches. But : que les entreprises collaborent plus avec les universités et inversement. Pour schématiser, le matin est occupé par des exposés techniques et l’après-midi par les pitchs des entreprises à la recherche de solutions techniques.
Le législatif, un sérieux frein pour les drones
Depuis 2016, une réglementation existait au niveau belge. Depuis le 1er janvier 2021, un règlement européen est censé simplifier les choses. « Mais dans la réalité, on n’y est pas encore arrivé. Notre rôle est également d’essayer de faire bouger les lignes quand un projet est bloqué par un aspect réglementaire. Il faut rassurer les autorités tout en ouvrant des brèches dans les législations pour permettre le développement des projets et donc des entreprises concernées, soupire Emilien Watelet. On a avec la DGTA belge – direction générale des transports aériens – souvent un mur en face de nous. Les relations sont très procédurières. C’est un frein au développement de l’innovation ; on est dans un cadre légal encore fort contraignant. Et la réglementation européenne a également restreint les facilités des zones de tests. Avant, on pouvait tester à peu près tout ce qu’on voulait, dans des conditions de sécurité extrêmes évidemment. Et maintenant, dès qu’on sort un peu du cadre, on entre dans un processus d’analyse de risque, de dossiers longs et pénibles… Au point que des partenaires repoussent leurs essais. »
En fait, le règlement européen ne facilite pas la vie des entreprises, mais bien l’accès au drone pour le particulier. Et le règlement européen n’est pas adaptée au tissu régional. Emilien Watelet explique par exemple que légalement les zones militaires comme dans la province de Luxembourg sont fermées à tout type de vol du lundi au vendredi en journée. Tout prestataire de service par drone dans cette province est bloqué, juste « au cas où… » Plus grave, « on est bloqué avec un gros projet de l’agence spatiale européenne parce qu’on doit voler au-dessus d’une zone Natura 2000 et que ces zones sont interdites au survol à basse altitude par un engin à moteur, suivant une loi des années 1970. Le ministre wallon de l’Écologie doit en discuter avec le ministre fédéral de la Mobilité, mais c’est loin de leurs préoccupations… Et les acteurs du drone ne sont pas encore assez nombreux et puissants pour exercer un lobby efficace. »
Concurrence européenne ?
Il existe une quarantaine de zones de tests en Europe. En tant que centre d’excellence où on mixe l’accompagnement et le test, ID2Move est assez unique. « Et de plus nous pouvons faire du prototypage : nous pouvons facilement imprimer en 3D une pièce de drone, voire une partie du drone. Nous présentons vraiment un écosystème intégré » complète son directeur.
Ces quarante zones de tests ne sont malheureusement pas réunies dans une structure qui pourrait revendiquer des avancées au niveau européen. Cette approche demande du temps et de l’énergie. Or toutes ces structures fonctionnent avec très peu de personnel.
Cependant, de plus en plus de clusters ou de pôles au niveau européen s’intéressent au domaine du drone. Mais c’est assez récent. Et ce n’est jamais un cluster ou un pôle entièrement dédié aux drones, un domaine parmi d’autres – l’aéronautique, l’espace… – qui sont plus anciens, plus développés, plus forts.
ID2Move a été créé il y a trois ans au sein de CapInnove, un Centre européen d’Innovation (CEI). Et depuis janvier, la structure a encore ajouté une corde à son arc : « nous avons une zone de test dédiée à la logistique. Une zone de stockage, avec des rayonnages… Et nous proposons à tout qui veut tester des projets de logistique de venir essayer en situation réelle : utilisation de codes-barres, des denrées périssables… On a même des chambres froides disponibles pour ces tests. Simplement gérer des stocks en chambre froide, mais aussi tester la résistance d’un drone à deux degrés pendant une demi-heure. On met des choses en place, on lance des lignes et on voit où ça mord… »
En Espagne se créent des centres logistiques sur deux étages : un étage pour les camions, et un étage pour les drones. Dès que la législation s’ouvrira, ils seront près. « En Belgique et en Wallonie, on attend de voir si la législation avance, puis on attend de voir comment font les autres pour s’adapter… On prend du retard par rapport à la concurrence… » regrette notre invité.
Mais, rigoureusement optimiste, Emilien Watelet cite encore un avantage solide de sa structure… « Notre zone de vol intérieur est équipée de caméras de motion capture, des caméras d’analyse du mouvement généralement utilisées en cinéma pour reproduire les mouvements humains en 3D. Le but est de pouvoir traquer les objets, et en termes de recherche de par exemple calculer avec précision le partage d’informations entre robots devant ensemble accomplir une même mission. La précision temporelle et spatiale de ces caméras ouvre énormément de possibilités pour par exemple créer des softwares. » Avec parfois des surprises… Pour le moment un projet de spectacle de marionnettes manipulées par drones est mené par une artiste en collaboration avec une université. Les caméras sont évidemment un fameux atout pour le développement et le test du logiciel. « Ce business case ne faisait pas partie de mon dossier initial » rigole Emilien Watelet.
Loin des marionnettes, la zone de tests est également utilisée par les services de secours : police, armée, pompiers… Ils utilisent de plus en plus les systèmes autonomes et créent des scénarios, par exemple la disparition d’une personne, ou la poursuite d’un fugitif… Et on étudie la valeur ajoutée des drones. Aucun doute, ceux-ci ont un bel avenir devant eux…