L’invité du mois : Daniel Simon, CEO de V2i

En perpétuel équilibre entre l'intellectuel et le manuel, avec toutefois une préférence pour ce dernier, Daniel Simon a mené une carrière qui lui a fait visiter les quatre coins de l'Université de Liège où il était question de vibrations avant de fonder sa spin-off, V2i. Parallèlement au développement de sa société, notre invité reprend Optrion, fondée dans le giron du CSL. Les deux entreprises passent à la vitesse supérieure en transformant leurs services en produits. Mais ce n'est pas tout. Daniel Simon a accepté d'entrer aux CA de l'EWA et de Skywin. Avec des idées percutantes. Attention, interview sans langue de bois...

« On revient toujours à nos origines manuelles… » Cette petite phrase, Daniel Simon l’illustrera plusieurs fois durant l’entretien qu’il nous a accordé. Et ces origines manuelles, elles se situent près de LaGleize, dans l’exploitation agricole et forestière familiale, ou auprès de sa mère artiste peintre.

Sur son avenir, Daniel est hésitant… « J’ai toujours adoré la mécanique et la littérature. Et étant voisin du circuit de Francorchamps, j’étais passionné de sport automobile, ce qui m’a poussé vers la mécanique et finalement l’aérospatial. C’est donc la mécanique qui a gagné » précise-t-il dans un sourire. Et il suit des études d’ingénieur à l’Université de Liège, desquelles il garde d’excellents souvenirs.

A la fin de son parcours universitaire, en 1990, il ressent un premier appel de ses origines manuelles, et retourne travailler un an dans l’entreprise familiale. Puis un beau jour le professeur Michel Géradin l’appelle pour savoir s’il souhaiterait rejoindre son équipe. « A l’époque, le LTAS, à Liège, et spécialement le professeur Géradin, c’était le Graal absolu… Je n’aurais même pas osé postuler là-bas. Je n’ai donc pas hésité une seconde. J’ai été engagé pour deux ans, et y suis resté dix. Dix années magnifiques, durant lesquelles on m’a laissé une énorme liberté. J’ai travaillé avec tous les secteurs de l’université concernés par des problèmes de vibrations, y compris en médecine avec le cyclotron. »

A cette époque, en 1992, le Val Benoît est toujours occupé par l’Université. C’est là que Daniel Simon travaille, dans un cadre tranquille, avec d’importants moyens. Et qu’il touche donc à divers domaines : sidérurgie, art (analyses de peintures), énergie, transport, médecine… Il est envoyé aux quatre coins de l’Alma Mater en électron libre pour résoudre des problèmes spécifiques. Il travaille notamment beaucoup au CSL, chez Claude Jamart.

Du CSL à Ariane

L’expérience dans le spatial se poursuit dans l'équipe du professeur Albert Germain, avec laquelle il travaille pour résoudre un problème de roulement sur un moteur de la fusée Ariane. Une intervention qui le fait repérer par les responsables du centre spatial de Vernon (où sont produits des moteurs pour Ariane) qui le sollicitent de plus en plus. Des contrats qui lui permettent d’acheter du matériel, dont une table vibrante, qui sera plus tard la première de V2i… De ces contacts avec le site cryotechnique, depuis géré par le professeur Jean-Luc Bozet, naîtra, en 2021, la société BeBleu. Mais ceci est une autre histoire (voir par ailleurs).

Puis arrive le déménagement vers le Sart Tilman. Daniel Simon travaille alors sous la direction du professeur Jean-Claude Golinval, « qui m’a confié de plus gros projets, ce qui m’a permis de développer de solides contacts dans l’industrie, et de présenter les résultats de mes recherches. On arrivait à l’époque à un moment où les éléments finis, dont l’ULiège est un des pionniers mondiaux, commençaient à saturer dans leur développement : on sentait que les limites informatiques allaient être levées et que ce n’était plus nécessaire d’optimiser les processus » explique Daniel Simon.

La grande idée est d'inclure l’expérimental dans la simulation : « dans les projets européens et mondiaux, tout le monde est parti sur des options très théoriques et moi je me suis focalisé sur la partie expérimentale. Ces approches très théoriques se sont écrasées alors que j’obtenais d’excellents résultats en améliorant la qualité et la rigueur des mesures. Jean-Claude Golinval a joué un rôle essentiel dans mon évolution à cette époque. Et je me suis construit une solide réputation dans ce genre d’études vibratoires mêlant la simulation et les mesures. Ce n’est pas que j’avais vu juste, mais à la base je suis plutôt manuel qu’intellectuel » rappelle notre invité en riant.

Les commandes industrielles se multiplient… Et Daniel Simon éprouve de plus en plus de difficultés pour les assurer dans le cadre de l’université, où il doit également mener ses recherches. Un choix s’impose : rester à l’université pour faire de la recherche ou partir et créer une spin-off. A l’époque, l’ULiège pousse fortement à la création de spin-offs, et c’est donc la voie qu’il choisit.

Naissance de V2i…

« L’idée est née de mon obsession de joindre l’intellectuel au manuel, détaille Daniel Simon. En 2004, V2i est née de la fusion entre la simulation théorique et l’expérimentation. On a toujours avancé dans cette direction : améliorer les calculs par les mesures et vice versa ; apporter beaucoup de savoir-faire technique dans nos mesures… C’est comme ça qu’on a pu aider des industriels d’un point de vue purement technique. Nous avons toujours eu une approche très pratique : nous sommes dans les ateliers, près des pièces et des gars qui connaissent les problèmes. Et cela facilite notre intégration. Et les contrats. »

A sa création, V2i est la seule spin-off de Liège où le fondateur est majoritaire. « A ma connaissance, précise Daniel Simon, il n’y en plus eu depuis. C’est un combat que je n’ai cessé de mener. J’ai amené mes capitaux moi-même et les rapports n’étaient pas au beau fixe avec certains acteurs publics dont Meusinvest (devenu Noshaq). Mais depuis les choses se sont améliorées et nous entretenons maintenant d’excellents contacts, tant avec Noshaq qu’avec l’ULiège. Je suis optimiste : le mouvement est de laisser plus de poids au fondateur. Il faut aussi laisser la possibilité à celui-ci de racheter des parts, histoire qu’il se sente vraiment chez lui. Mais en échange, il conviendrait de formaliser des liens solides entre ces entreprise hightech et l’ULiège. Je pense que beaucoup de ces entreprises sont partantes pour jouer un rôle sociétal, ici au travers de l’éducation, significatif. C’est pour moi un besoin essentiel. Le principe est de mieux en mieux accepté. Et l’arrivée de Didier Mattivi (jeune ingénieur sorti de l’ULiège, cofondateur d’IP Trade, revendu à British Telecom, puis de deux autres entreprises, ndlr) à la tête de l’interface et de la recherche de l’ULiège est une excellente nouvelle qui va dans le bon sens. Les fondateurs doivent garder une place centrale dans leur spin-off, mais celles-ci doivent être des partenaires de l’université. »

Pour se lancer, la jeune entreprise bénéficie du solide apport de WSL, le premier incubateur technologique d'Europe - qui décrochera le titre de meilleur incubateur technologique mondial hors USA quelques années plus tard -  mis en place par le gouvernement wallon en 2000. Et la Région wallonne, à travers le SPW, soutient également V2i… « Lors de nos débuts, nous avons été formidablement soutenus par le SPW, qui nous a d’emblée attribué deux APE. Après une longue et compliquée période de montage du projet, enfin quelqu’un m’a dit 'je vous fais confiance'. Je m’en souviens parfaitement, c’était une personne de la DGO Recherche. Et cette excellente collaboration avec le public s’est prolongée des années. »

Puis survient un coup de chance… Un étudiant Erasmus italien, intéressé par les problèmes liés aux vibrations, était venu à l’ULiège pour son stage. Après ses études, celui-ci est engagé chez Rolls Royce, à Berlin. Et, confronté à des problèmes de fatigue vibratoire de pièces de moteurs, l’ancien étudiant se souvient de l’ULiège et de travaux déjà très avancés dans le domaine. « Les gars de Rolls Royce débarquent chez nous – à l’époque nous n'avions même pas de bureaux – et nous expliquent leur problème. Je leur propose des solutions. Et nous avons par la suite décroché plusieurs importants contrats avec cette société… Ce qui a considérablement accéléré notre croissance » se souvient le CEO.  

… et reprise d’Optrion

La spin-off s’installe dans le Parc scientifique du Sart Tilman, dans un bâtiment qui ne cesse de s’agrandir – encore en mai de cette année, avec un nouveau labo et une nouvelle machine de tests. Un agrandissement également dû à la reprise d’Optrion en 2010. « Comme j’ai travaillé un peu partout dans le cadre de l’ULiège, je suis donc passé par le CSL, d'où est issue la spin-off Optrion, qui a conçu une caméra holographique permettant de mesurer les déformations dues, entre autres, aux vibrations. Ça m’amusait beaucoup. J’ai travaillé avec eux très longtemps. Mais la niche était très étroite. Et j’ai repris Optrion pour la réorienter vers le contrôle non destructif dans les composites. Toujours basé sur l’holographie optique, puis vers la shearographie » explique Daniel Simon, qui poursuit… « J’ai eu la chance de me trouver à ce moment à la fin d’un programme européen pour lequel Optrion devait comparer toutes les technologies existantes. Très pratique... Cela nous a permis d’optimiser notre solution et d’arriver à une caméra shearographique très en avance sur ce qui se faisait ailleurs. Actuellement, on sent un gros appel d’air, parce que la shearographie est ce qui convient le mieux pour la détection de défauts dans les réservoirs en composite, et donc ceux destinés à l'hydrogène. Ainsi que pour le contrôle de véhicules spatiaux réutilisables qui devront être inspectés rapidement avant de repartir… La version commerciale de notre caméra est quasiment terminée. Et on travaille aussi pour robotiser complétement les inspections ». L’avenir semble donc radieux.

V2i et Optrion sont deux entités avec un actionnariat plus ou moins croisé. Si elles partagent un même bâtiment, les deux activités demeurent séparées, dans des labos complétement différents. Ce qui n’empêche évidemment pas de régulières collaborations sur certains dossiers. D’ailleurs, comme l’explique notre invité, « depuis quelques années, nous travaillons avec de la vidéo, avec de nouveaux formats pour les mesures, en fusionnant encore plus de données d’origines divers, ce qui nous a amenés à progresser dans l’Intelligence artificielle pour aller chercher encore plus d’infos dans les signaux. Les résultats sont sidérants… J’avais du mal à y croire parce que je crois toujours en l’intelligence de l’homme, mais j’ai vraiment été bluffé par les possibilités dégagées. Heureusement, l’impact de la qualité des informations fournies et de la compréhension des phénomènes physiques dans leur prétraitement continuent à faire la différence… »

Actuellement, presque la moitié de l’activité de V2i est dédiée aux systèmes d’acquisition de données et de monitoring (hardware/software) sur mesure pour résoudre les problèmes qui lui sont soumis. L’entreprise a notamment instrumenté un banc de test de ruptures d’aubes fan de Rolls Royce à Berlin, et travaille en étroite collaboration avec SAB, plus précisément sa filiale bancs moteurs. Cette capacité à développer du hardware et du software est aussi proposée par Optrion, ce qui permet de gérer l’ensemble du process.

De grands défis

Les grands défis tant pour V2i que pour Optrion, c’est de proposer des produits émanant de leurs services. Ce sont toujours des produits sur mesure, mais les entreprises basculent de services vendus entre 10.000 et 30.000 euros à des produits valant de 50.000 à 100.000 euros. Évidemment, ces produits se vendent différemment... « Pour nous, c’est un gros défi parce que c’est à l’opposé de notre ADN : nous sommes programmés pour résoudre des problèmes techniques et rendre le client content parce qu’on apporte une solution, et pas du tout pour vendre. Nous travaillons ainsi avec un consultant qui nous aide à structurer notre offre d’un point de vue commercial, mais aussi technique. Ce défi me pousse à me mettre un peu de côté pour me concentrer sur les aspects techniques que je maîtrise encore, avec mon extraordinaire équipe évidemment. D’autres personnes avec des profils plus commerciaux et financiers, peut-être même venues de l’intérieur, s’occuperont des aspects plus axés sur la vente » annonce Daniel Simon.  

Dans cet ordre d’idées, un autre défi est l’ouverture d’une filiale à Pau. Le bâtiment sort actuellement de terre et une partie du personnel est déjà engagée. « Nous sommes à présent une vraie société qui progresse et plus des chercheurs dans leur labo, continue le CEO. Le management de V2i doit évoluer d’une petite PME technologique à une PME plus globale qui installe ses produits. » A noter que la direction restera liégeoise, mais que le reste du personnel sera engagé sur place. Daniel Simon souligne que Pau dispose d’excellentes écoles techniques, et que « vu que la région est sympa, les gens aiment travailler sur place. Et, sans compter Toulouse, le secteur aéro dans cette région, c’est simplement énorme, cinq fois la Wallonie. Ariane, Dassault, Safran… sont dans les alentours. Et nous avons Total comme voisin. Ce qui n’est pas désagréable, c’est qu’en plus la mentalité est proche de celle qu’on trouve à Liège. »

L’avenir de V2i, et d’Optrion, s’annonce donc plutôt rose, même si les deux entreprises ont souffert des problèmes de Boeing, puis de l’arrêt du Leap. « En novembre 2019, nous avons perdu 60% de notre chiffre d’affaires en un mois. Et puis le Covid qui est arrivé… Nous avons fourni un effort pour rester en contact étroit avec nos clients. Parmi ceux-ci, beaucoup de grosses boîtes nous ont demandé comment elles pouvaient nous aider. Certaines ont même commandé des études qui dormaient dans des tiroirs pour nous soutenir. Ce qui nous a permis de sortir du Covid avec une série de contrats, mais dans des secteurs différents comme les piles à combustible, les mini-satellites… Nous avons quasiment retrouvé notre volume d’activités d’avant le Covid. La rentabilité par contre a énormément souffert, parce qu’il s’agit de plus petits projets, avec de nouveaux prospects, avec qui il faut prendre le temps de discuter… Mais nous avons beaucoup de travail, ce qui positif pour l’avenir évidemment. Beaucoup de choses se mettent en place… » se réjouit notre invité.

Aux CA de l’EWA et de Skywin

Daniel Simon, qui considère que les pôles sont devenus des acteurs essentiels de l’économie wallonne depuis longtemps, entre aux CA de l’EWA - comme vice-président - et de Skywin. Une excellente recrue qui ne manie pas la langue de bois, c’est un euphémisme : « Je suis entré à l’EWA parce que je trouvais que les PME technologiques étaient très mal représentées, et n’étaient pas prises en considération. Non seulement au niveau politique, mais également à l’EWA même. Je suis toujours le premier à monter aux barricades, ce qui me joue parfois des tours (rires). Mais plusieurs entreprises technologiques comme V2i m’ont poussé à y aller. Puis je me suis rendu compte que les gros industriels avaient ce même problème de manque d’attention. Il suffit de voir les nouveaux plans du gouvernement… Soi-disant, ces plans ont été construits sur base d’avis des industriels. Mais je ne connais personne qui ait donné son avis. C’est visiblement un bureau de consultance avec des experts que personne ne connait qui a pondu la matière. L’industrie arrive très tard dans le process, à travers l’industrie 4.0. Les grandes entreprises ne sont donc pas mieux loties que les petites, même si certaines peuvent se permettre de parfois taper du poing sur la table. Et la Région joue un rôle essentiel dans la R&D. Il faudrait plus s’écouter. »

Et le nouveau VP d’expliquer que c’est Jacques Smal, le président de l’EWA et de Skywin, qui lui a proposé le poste. « C’était intéressant et tentant, surtout que j’avais beaucoup râlé sur l’EWA (rires). J’y suis entré avec Jérôme d’Agruma. Jacques Smal a vraiment la volonté de changer, de rouvrir l’EWA, de mieux communiquer vers les entreprises. Je prends vraiment du plaisir dans ce travail avec Jacques, et j’apprends beaucoup. »

La communication est une des priorités de Daniel Simon, tout comme la solidarité et l’ouverture : « Je prends l’exemple du spatial, où les budgets se négocient par une ou deux sociétés au nom du secteur spatial wallon, qui n’est pas toujours au courant. Dans l’aéro, avec la crise que nous traversons, tout le monde se rend compte de l’intérêt d’être solidaires. Les entreprises de l’aéro se sont diversifiées, et débordent souvent de leur secteur. L’EWA doit donc s’ouvrir à des boîtes technologiques beaucoup plus largement. Il faut aussi repenser le rôle des centres de recherches, qui doivent être au service de beaucoup plus d’entreprises, et pas seulement de certaines d’entre elles. Il y a du boulot. » Sûr qu’il ne s’en plaindra pas…  

Arnaud COLLETTE

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