Le CSL partie prenante dans le James Webb Space Telescope... Et dans Proba-3 Aspiics

A travers le Centre spatial de Liège (CSL), l'Université de Liège va jouer un rôle de premier plan dans le développement du James Webb Space Telescope : l'Alma Mater sera impliquée dans l’analyse des données quand elles arriveront (exoplanètes, cosmologie, modèle d’univers, planètes géantes…). Interview de Christophe Grodent, ingénieur civil électro-mécanicien de l’ULiège, directeur commercial et membre du conseil de gestion du CSL.

Par ailleurs, le CSL vient d’achever le projet Proba-3 Aspiics, développé par l’ESA dans la tradition des petits satellites Proba. Les satellites jumeaux formeront un coronographe à occultation externe, l'instrument optique du satellite Coronagraph étant protégé de la lumière solaire éblouissante par le disque d'occultation du satellite Occulter, formant ainsi une éclipse artificielle dans l'espace. 

 

Monsieur Grodent, Miri et NIRSpec sont deux instruments testés par les salles blanches du Centre Spatial de Liège. En quoi le CSL est-il concerné par le JWST ?

Nous le sommes à travers deux de ses quatre instruments, NIRSpec et Miri, qui forment aussi la part de l’ESA dans le développement de l’instrumentation de cet énorme télescope. Ces instruments scientifiques vont analyser les rayonnements perçus et captés par le gigantesque miroir primaire du JWST de 6,5 mètres de diamètre, ce qui fait du JWST le plus grand et le plus puissant télescope jamais mis en orbite. Le CSL n’est pas intervenu du tout sur les deux autres instruments, Niriss-Fine Guiding Sensor, développé par l’agence spatiale canadienne, et NIRCam, développé par la Nasa.

NIRSpec et Miri ont été conjointement développés par les Etats-Unis (la Nasa, le Jet Propulsion Laboratory, l’Université d’Arizona) et l’Europe (l’ESA et ses contractants et partenaires, dont le CSL fait partie en tant que « facilité », un centre agréé par l’ESA). NIRSpec (Near Infrared Spectrograph) est un spectrographe qui travaille dans l’infrarouge proche, de 0,6 à 5 microns. Il va aider à caractériser la masse, la température ou la composition chimique des objets célestes observés. Pour cet instrument, la société Reosc du groupe Safran nous a contactés en 2006 pour effectuer des tests cryogéniques sur de petits télescopes qu’ils développaient. Ce sont des petits télescopes d’environ 1m de long, qu’on appelle des TMA (Three-mirrors anastigmat). Chacun contient trois miroirs. Safran a fabriqué trois de ces télescopes, le COL, le CAM et le FOR, avec des buts optiques spécifiques. Au CSL, nous avons testé ces télescopes au sein de notre chambre à vide FOCAL-2. Nous les avons refroidi à des températures cryogéniques, proches de -260°C. Une fois les télescopes refroidis, nous avons mesuré, au moyen de techniques interférométriques, la qualité optique des images obtenues en froid, car le froid déforme les images, on n’obtient pas les mêmes images qu’à température ambiante. Entre 2008 et 2009, nous avons réalisé avec Safran trois campagnes de tests et de mesures, d’une durée d’un mois environ chacune. Ce sont ces trois télescopes qui sont aujourd’hui sur le JWST.

Concernant Miri, le CSL est intervenu plus en amont…

Oui, notre implication est plus importante qu’avec NIRSpec. Nous avons testé, bien sûr, mais nous avons participé aussi au design et au développement de certains éléments du Miri (Mid-Infrared Instrument). Miri va regarder des objets froids et lointains (des galaxies, des étoiles, …) dans l’infrarouge moyen, de 5 à 28 microns. L’instrument est dédicacé aux faint objects, ces objets dont la luminosité est faible voire extrêmement faible, de telle sorte qu’ils ne peuvent être visibles que par leurs traces dans l’infrarouge. Pour remplir cet objectif, le JWST doit capter un maximum de lumière, c’est pourquoi il dispose d’un énorme miroir de 6,5 mètres de diamètre : un véritable entonnoir à photons ! Toute cette énergie lumineuse capturée sera redirigée vers les différents instruments.

Sur Miri, le CSL a travaillé plus spécifiquement sur trois éléments. Le premier, c’est l’IOC, l’Input Optics Calibration unit. C’est comme un périscope qui capte la lumière qui transite par le télescope principal, et l’envoie vers l’instrument. Ce périscope a été développé conjointement avec une société flamande, OIP Space Instruments. Les miroirs ont été fabriqués par AMOS, et le CSL est intervenu pour le revêtement de surfaces. Le CSL a également aligné ce périscope au sein de Miri, ce qui a été un travail long et assez compliqué. Ensuite, nous avons placé le périscope dans un cryostat afin de vérifier les performances de l’IOC à des températures cryogéniques.

Le deuxième élément est un double prisme, qui permet de séparer la lumière selon les différentes longueurs d’ondes. La lumière séparée rentre dans un sous-système de Miri, le MiriM, qui est l’imageur de Miri. Les prismes ont été développés par Amos, et le CSL a surtout réalisé le revêtement de surface, outre des mesures de performances.

Enfin, troisième et dernier élément, le CSL est intervenu sur l’ICE, l’Interface Control Electronics. C’est le boitier électronique qui contrôle et pilote tous les mécanismes de Miri. Dans ce cas, le CSL a étroitement collaboré avec la société Thalès Belgique. Nous avons ainsi participé au design et à l’intégration des cartes électroniques de ce boitier. C’est notre laboratoire électronique au CSL qui a réalisé cette prouesse technologique avec les équipes de Thalès Belgique.

Comment le CSL a-t-il été amené à travailler sur ces projets d’envergure ?

C’est en raison de nos compétences spécifiques et reconnues internationalement ! En effet, au fil des années et des projets, le CSL a développé une double expertise à laquelle l’ESA fait appel dans le cadre de la participation de la Belgique au financement de l’Agence spatiale européenne. Il y a d’une part la cryogénie : le CSL dispose des installations qui permettent de descendre extrêmement bas, jusqu’à moins 270°C, et de mener efficacement des campagnes de tests avec ses spécialistes, qui sont parmi les meilleurs au monde dans ce domaine. Il y a d’autre part les coatings : ici aussi, notre laboratoire de traitement de surfaces jouit d’une solide renommée internationale. Le CSL est capable de réaliser des revêtements de surfaces avec des propriétés très spécifiques en combinant des techniques de dépôt sous vide, des traitements laser et des procédés micro-fabrication. Pour Miri, un procédé spécifique a été développé pour produire un revêtement en or à la fois extrêmement résistant à l’environnement spatial et hautement réfléchissant dans l’infrarouge, la gamme spectrale de fonctionnement de l’instrument.

Le rôle du CSL dans le JWST sert-il de carte de visite ?

Être impliqué dans un projet scientifique aussi énorme est vraiment positif pour le CSL, l’Université de Liège et notre région. Cette mission est un challenge de fous ! Pour reprendre l’expression de Yaël Nazé, c’est un véritable origami spatial. Et si un seul mécanisme ne fonctionne pas, c’est terminé, c’est tout le JWST qui ne fonctionnera pas. Il y a donc une multitude de single points of failure. Mais c’est vraiment une fierté pour le CSL d’avoir contribué à développer et tester il y a dix ans maintenant les vrais instruments de vol, ceux qui sont maintenant intégré le JWST, lancé le 18 décembre, et qui contribueront, nous l’espérons tous, dans quelques mois et dans les prochaines années à des découvertes majeures concernant l’origine et le développement de notre univers.

Didier MOREAU

 

Par ailleurs, le Centre spatial de Liège vient d’achever le projet Proba-3 Aspiics, développé par l’ESA dans la tradition des petits satellites Proba. Les satellites jumeaux formeront un coronographe à occultation externe, l'instrument optique du satellite Coronagraph étant protégé de la lumière solaire éblouissante par le disque d'occultation du satellite Occulter, formant ainsi une éclipse artificielle dans l'espace. Le coronographe de Proba-3 est appelé Aspiics, qui signifie Association of Spacecraft for Polarimetric and Imaging Investigation of the Corona of the Sun. L'instrument est composé d'un grand disque d'occultation de 1,4 m de diamètre monté sur l'engin spatial Occulter, et d'un système de coronographe solaire de type Lyot transporté par l'engin spatial Coronagraph.

L'un des principaux objectifs d'Aspiics est de résoudre un mystère scientifique de longue date : pourquoi la couronne solaire est-elle nettement plus chaude que le Soleil lui-même ? Aspiics permettra également d'étudier les éjections de masse coronale. Ces énormes éjections de matière chaude vers l'extérieur du Soleil régissent la météo spatiale et peuvent avoir un impact non négligeable jusqu'à la Terre.

Aspiics est développé sous la responsabilité complète du CSL (design optique, thermique, mécanique, assemblage, calibrage, essais environnementaux). Le CSL est également en charge du développement de l’occulteur interne (1mm de diamètre intérieur et 3 mm de diamètre extérieur), qui sert à filtrer les erreurs d’alignement des engins et aussi les erreurs de diffraction de la lumière. Le CSL est impliqué depuis 2014 dans cette mission, l’un des projets les plus importants du centre spatial liégeois. Il vient de se terminer avec des activités d’alignement et des tests de vibration sur le télescope.

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