Jacques Smal veut préserver le tissu industriel

« L'industrie aéronautique risque une mort réelle »... C'est sous ce titre, qui pourrait sembler sensationnaliste mais qui ne recouvre qu'une triste vérité, qu'est parue l'interview du président de Skywin dans le journal L'Echo, sous la plume du journaliste Olivier Gosset. Mais Jacques Smal n'est pas pessimiste...

En effet, si, alors qu'on entrevoit la sortie de crise du covid-19,  certaines de nos entreprises sont au bord du gouffre, l'ancien cadre de Safran Aero Boosters voit dans la Défense une solution. Il faut oublier les atermoiements autour du F-35 et foncer dans le dossier. Et s'engager dans un projet de chasseur de 6ème génération. Interview…

 

Le président du pôle de compétitivité Skywin estime que la défense doit servir d’amortisseur à la crise du transport aérien. L’aviation subit de plein fouet la crise du covid-19. Pour Jacques Smal, le président du pôle de compétitivité aéronautique et spatial Skywin, de nouvelles initiatives s’imposent pour préserver le tissu industriel wallon.

Quelle est la situation du secteur industriel aérospatial en Belgique ? 

Ces entreprises vont passer des moments extrêmement difficiles à cause de la perte de commandes, vu le trou d’air dans lequel elles entrent, pour quelques mois et peut-être quelques années. Parce qu’elles ont de la technologie, ces sociétés parviennent à exister dans des pays qui ne sont pas réputés pour leurs coûts de production bas. Cela fait partie de leur histoire. Si elles perdent leur capacité de maintenir leur ingénierie et leur savoir-faire, leur capacité à payer ces hommes, dans deux ans elles seront sans rien. Ce secteur risque une mort réelle si on ne prend garde à maintenir le savoir-faire, l’expertise, l’inventivité, ainsi que le niveau technologique atteint par ces sociétés.

Certaines entreprises sont-elles en danger de mort ?

Oui, je ne veux pas donner d’exemples, mais certaines sociétés de mécanique et de sous-traitance sont dans une situation à risque.

Des premières aides ont été accordées…

Au-delà de l’octroi de crédits-ponts, d’allègements fiscaux ou de refinancements comme celui accordé à la Sonaca, il faut quelque chose de plus en profondeur. Quelque chose qui a comme objectif de maintenir dans une période de disette les forces technologiques et le savoir-faire, qui sont les atouts grâce auxquels nous existons dans des pays à coûts salariaux élevés. Dans les autres métiers de l’aviation – que je respecte – comme les compagnies, les aéroports ou les bagagistes, il n’y a pas ces barrières technologiques à l’entrée. Il n’y a pas de risque fondamental sur la pérennité de leurs activités. La demande fera renaître l’activité, certes peut-être avec d’autres gens et d’autres structures.

Quelles mesures supplémentaires préconisez-vous ?

Il y en a une première qui est évidente. Quel est l’amortisseur lors des crises dans l’activité civile, d’autant que je rappelle qu’il n’y a plus de projet de nouvel avion commercial ? C’est le militaire. Continuons à travailler sur les possibilités qu’offre le contrat F-35. Je dois saluer ici l’action de la Première ministre, qui s’implique dans les négociations avec Lockheed Martin. Elle a par ailleurs réalisé quelque chose de remarquable dans le spatial, avec une hausse des moyens financiers. Pour le F-35, on peut blâmer le passé, mais aujourd’hui il y a quelque chose qui est en train de se passer. On doit aller chercher tout ce qu’on peut, même si le contrat industriel ne nous est pas favorable. 

Et au-delà ?

Dans tout nouvel achat de la Défense – pour peu qu’il y ait encore des budgets, mais il y a encore des besoins –, il faut impérativement conserver la notion de priorité nationale. L’armée va avoir besoin de nouveaux avions d’entraînement initial. Il y a une société belge (Sonaca Aircraft, ndlr) qui fabrique des petits avions. Est-ce que ceux-ci ne pourraient pas faire une partie du job, même s’il est évident qu’ils ne peuvent assurer toute la formation d’un pilote de chasse? Dans le domaine terrestre, l’armée a encore besoin d’autres véhicules au-delà du contrat Camo (les blindés légers achetés à la France, ndlr). La question est de savoir comment on peut garder l’argent au sein de la Belgique.

La Belgique doit-elle rejoindre des grands projets ?

Oui. Il faut que la Belgique s’ancre dans un projet de chasseur de sixième génération. C’est mal parti, puisque les Français nous ont snobés suite à l’achat des F-35. Mais il faut remettre le dossier sur la table et considérer que s’il y a un passé, il y a aussi un avenir. On doit faire oublier les rancœurs apparues en France. On doit travailler sur le plan politique et industriel pour arriver à faire partie de ce genre d’initiative. On ne peut rater cela. 

Il y a deux projets d’avion de nouvelle génération : le Scaf franco-allemand et le Tempest britannique. Lequel choisir ?

La Belgique doit prendre position, puisqu’il y a deux offres. Concernant l’initiative britannique, il faut rappeler qu’il s’agit d’un pays qui vient de quitter l’Union européenne. Et que par ailleurs, elle est « non Itar free », c’est-à-dire que si ce système d’armes contient au moins un composant américain sous le régime de la réglementation Itar, les USA peuvent en interdire la vente à l’export à un pays tiers. Ce qui veut dire que cet équipement ne sera pas nécessairement un outil de souveraineté de l’Europe.

Le confinement a-t-il complètement bloqué les discussions avec Lockheed Martin ?

On ne peut pas dire que le confinement ait arrêté les négociations. Il y a toujours des discussions en cours. Cela ne va pas assez vite, mais le contact n’a pas été rompu. Mais ce n’est pas conclu.

Existe-t-il d’autre initiatives à envisager pour le secteur ?

Le gouvernement, dans ses discussions avec l’Europe, doit être attentif à maintenir des engagements financiers sur les grands programmes de recherche. Enfin, il y a aussi une question plus technique : dans les aides à la recherche que l’on peut aller chercher en Wallonie ou dans les programmes européens, il y a des plafonnements. Plus l’entreprise est grosse, plus la part subsidiée est faible et plus la part auto-financée est forte. Est-ce qu’on ne peut pas faire sauter le plafonnement de la part subsidiée pendant deux ou trois ans, de manière à venir en aide aux entreprises ?

Olivier Gosset, L’Echo

https://www.lecho.be/dossiers/coronavirus/jacques-smal-skywin-l-industrie-aeronautique-risque-une-mort-reelle/10226349

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