© Gate.31 - Cap sur les Etats-Unis pour une rencontre avec… Philippe Geubelle, Professeur Aerospace Engineering à l’Université de l’Illinois

Interview réalisée par © Gate.31

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Cette semaine, nous vous emmenons de l’autre côté de l’Atlantique, dans le Midwest des États-Unis. Pour une rencontre passionnante avec Philippe Geubelle, Professeur Aerospace Engineering à l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign. Nous sommes à 200 kilomètres au Sud de Chicago…

 

 

Philippe Geubelle est d’origine belge, il a étudié à l’UCLouvain. Avec son diplôme d’Ingénieur civil mécanicien en poche, il est parti aux Etats-Unis pour obtenir un Master et un Ph.D. « Depuis toujours je savais que je voulais travailler dans le milieu académique. Je suis parti aux Etats-Unis pour  décrocher un Master et un Ph.D. en aéronautique à Caltech (California Institute of Technology). J’ai ensuite été associé de recherche postdoctorale à Harvard et j’ai rejoint l’Université de l’Illinois à Urbana-Champaign en janvier 1995. Cela fait donc plus de 28 ans que je suis ici ! »

En charge de son propre groupe de recherche, Philippe Geubelle est à la tête d’une dizaine de chercheurs (étudiants de premier cycle, PhDs et postdocs). « Nos activités de recherche sont principalement reliées aux activités de l’Autonomous Materials Systems group du Beckman Institute for Advanced Science & Technology. L’Institut Beckman est, en quelque sorte, une entité qui rassemble des centres de recherche qui travaillent sur des matières différentes ; c’est un endroit idéal pour permettre aux étudiants, postdocs et professeurs de travailler ensemble et d’échanger des idées. Nous sommes une dizaine de professeurs et une quarantaine d’étudiants et postdocs. Ces derniers temps, nous avons beaucoup travaillé avec nos collègues de chimie et de sciences des matériaux. Cette approche interdisciplinaire s’avère très efficace ! » 

Travaillez-vous directement pour les acteurs du secteur Aerospace ? 

« Cela nous arrive mais la majorité des programmes de recherche sont financés par des agences fédérales comme la National Science Foundation (NSF), US Air Force Office of Scientific Research, NASA, Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA), US Department of Energy, …»

Pouvez-vous nous présenter quelques projets de recherche passés ou en cours ? 

« Nous avons travaillé (il y a déjà un moment de cela) sur le développement de matériaux auto-cicatrisant c’est-à-dire qui ont le capacité de se réparer automatiquement après avoir subi des dommages ; ce ne sont pas uniquement des matériaux polymères, ce sont aussi des composites. L’idée est de disposer de matériaux capables de détecter automatiquement la présence de fissures. Lorsque les fissures apparaissent, des micro capsules se rompent et diffusent un agent auto-cicatrisant qui permet de ralentir voire d’arrêter la progression de la fissure.

Après ce projet, nous avons développé, en étroite synergie avec des collaborateurs en aéronautique, sciences des matériaux et chimie, des matériaux disposant d’un système circulatoire. Outre des facultés d’auto-guérison, ces matériaux disposent d’un système de refroidissement actif grâce à un réseau de veines et d’artères dans lequel nous faisons passer un système de refroidissement.  

Un troisième projet sur lequel nous travaillons actuellement, porte sur les méthodes de production des matériaux composites. Aujourd’hui, pour fabriquer une aile d’avion en composite il faut préparer le matériel, le placer en autoclave et le laisser durant plusieurs heures à des températures élevées de l’ordre de 160 à 180 degrés Celsius. Ce procédé de fabrication s’avère long et énergivore. Pour accélérer la méthode de fabrication et diminuer drastiquement la consommation d’énergie, nous avons développé une nouvelle approche basée sur la polymérisation frontale de la résine en injectant une petite quantité de chaleur pour initier la polymérisation, qui se propage ensuite par les propriétés exothermiques de la transformation chimique. Nous avons démontré qu’il est désormais possible de produire des matériaux composites de qualité supérieure en dehors d’un autoclave avec une énergie 6 à 7 ordres de grandeur moindre que les procédés conventionnels et en minutes plutôt qu’en heures.  Nous avons aussi montré que la technique de polymérisation frontale est également applicable à la fabrication additive (impression 3D) permettant l’impression rapide de structures complexes sans avoir recours à l’étape de post-traitement nécessaire aux procédés classiques. 

Plus récemment, nous avons démarré un nouveau projet de recherche financé par le Département de l’Energie dont l’objectif est le développement d’une nouvelle génération de matériaux thermosets qui soient à la fois compatibles avec la polymérisation frontale et recyclables. L’objectif de ce projet, qui, en plus de notre université, implique des chercheurs de plusieurs autres institutions américaines (MIT, Harvard, Stanford, U. Utah, et Sandia National Lab) est de développer des matériaux polymères qui auraient des propriétés mécaniques semblables à celles des thermosets et seraient recyclables comme les thermoplastiques. 

Le DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) nous finance aussi pour étudier la possibilité d’utiliser la polymérisation frontale pour bâtir, dans l’espace, des structures de grande dimension. Ceci éviterait le transport et le déploiement d’éléments (préfabriqués sur terre) à bord de véhicules spatiaux, et de fabriquer ces grandes structures directement dans l’espace. C’est un magnifique projet que l’on démontrera d’abord sur terre… avant de l’envoyer dans l’espace (sourire).

Nous l’avons vu, l’allégement des matériaux, la performance de la production, … sont au cœur de nos développements mais un autre volet nous occupe de très près, c’est bien entendu le recyclage de tous ces matériaux, c’est devenu un enjeu majeur ! Lorsque l’on voit les décharges d’éoliennes dont il faut se débarrasser, il est primordial de développer des matériaux aux performances attendues mais qui soient recyclables. Et nous y travaillons* ! »

Quels moments forts ont marqué votre carrière ? 

« Le développement des matériaux auto-cicatrisant a été un moment fort de nos activités de recherche. Ce projet a eu un impact international ; différents groupes de recherche se sont mis à travailler sur cette matière, des conférences internationales ont été organisées,… Cette technologie a aussi été adoptée par le secteur de la peinture afin d’étendre la durée de vie des produits, par exemple.

La fabrication des matériaux composites sur base de la polymérisation frontale a aussi eu un impact important et a suscité l’intérêt de plusieurs groupes de recherche aux États-Unis et ailleurs. Nous collaborons avec plusieurs groupes aux USA et en Europe. »

Quelles relations entretenez-vous avec les centres de recherche en Europe ? 

« Nous entretenons, par exemple, des relations avec le Département de Chimie de l’ULB (Belgique) pour lequel travaille l’une de mes collègues, le Professeur Rongy. J’ai aussi travaillé avec l’EPFL (Suisse) sur la mécanique de la rupture, un sujet qui m’intéresse beaucoup. Nous avons reçu, au sein de mon groupe, des étudiants de l’EPFL qui devaient réaliser des travaux de master ou de thèse. Nous entretenons aussi des relations avec un groupe, en France, qui développe des catalyseurs. » 

Quelle perception avez-vous du secteur de la recherche en Europe ? 

« Il y a d’excellents centres de recherche et le système de support financier de l’UE semble efficace. Le lien entre la recherche et l’industrie est certainement une approche intéressante. Si les États-Unis mettent aussi l’accent sur l’interaction entre la recherche universitaire et les applications industrielles, il y a ici aussi de nombreuses sources de financement pour la recherche fondamentale.

Ce qui caractérise les Etats-Unis, c’est le nombre de Fonds de recherche qui sont disponibles et le fait que l’on puisse travailler au sein d’organisations comme le Beckman Institute for Advanced Science & Technology à savoir une unité de l’Université dédiée à la recherche interdisciplinaire. Cet environnement intéresse les étudiants car leur formation va au-delà de l’éducation classique ; nous avons des étudiants en chimie qui comprennent la mécanique et vice versa. Nous avons rassemblé nos groupes de recherche dans un même environnement et ça, c’est unique ! » 

Avez-vous pour projet de rentrer, un jour, en Belgique ? 

« Je ne le pense pas (sourire) même si la majeure partie de ma famille est en Belgique ; ma femme est américaine, nos enfants sont américains et j’aurai fait toute ma carrière à l’Université de l’Illinois ! Ce serait difficile pour moi de me lancer dans une nouvelle carrière en Belgique. » 

Pour prendre contact ou en savoir plus sur « Geubelle Research Group » : https://geubelle.aerospace.illinois.edu

*cf le projet de recyclage des thermosets 

Images & logo ©Philippe Geubelle & University of Illinois.

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