L'invité du mois : Laurent Barremaecker, CEO de EHP
Après un début de carrière à la Sabca, Laurent Barremaecker rejoint Euro Heat Pipes en 2002, peu après la création de l’entreprise. Ce natif du Brabant flamand, qui a terminé ses études d’ingénieur industriel en mécanique avec finalité aéronautique, lui restera fidèle… Après avoir gravi les différents échelons, il en devient le CEO en 2017. Depuis, l’entreprise a doublé son personnel et son chiffre d’affaires, et connait toujours une croissance de 10 à 15 pourcents chaque année… Une superbe réussite que notre invité évoque avec humilité, préférant souligner le côté familial de la boîte qu’il dirige, reprise par Airbus sans en changer l’ADN… Un ADN ancré à Nivelles
Originaire du Brabant flamand, Laurent Barremaecker mène ses études primaires et secondaires à Laeken, avant d’intégrer l’Isib – l’Institut supérieur industriel de Bruxelles – d’où il sort en 1995 avec le grade d’ingénieur industriel en mécanique, avec finalité aéronautique. Cette filière lui ouvre les portes de la Sabca, plus spécifiquement son département recherches et développement spéciaux, où il effectue son travail de fin d’études. « Ils avaient deux grands thèmes en développement à l’époque, se souvient notre invité : la partie thermique qui amènera EHP quelques années plus tard, et la partie robotique avec le bras ERA (European Robotic Arm) qui a été fourni après quelques péripéties à l’ISS. »
Son diplôme en poche, le nouvel ingénieur intègre tout naturellement la boîte où il a effectué son TFE… « Je commence directement à la Sabca, où je resterai huit ans. Je me suis occupé de la partie thermique des développements spéciaux, d’abord sur la partie robotique – ERA – pendant trois ans, puis je me suis consacré à l’aéronautique, sur les commandes de vol électriques plus précisément, pour différentes applications, toujours dans la dimension thermique. J’ai complété ma formation sur le terrain avec tous ces développements thermiques ou thermodynamiques. »
En 2002, une opportunité se présente… « EHP venait d’être créé quelques mois plus tôt. C’était à l’origine un département dans une des branches de la Sabca où j’évoluais, qui a été externalisé avec le support de l’ULB. On m’a demandé de rejoindre cette équipe et j’ai trouvé le challenge très intéressant : passer d’une grande société comme la Sabca – plus de mille personnes y travaillent – à un environnement plus start-up, plus PME. A mon arrivée, nous étions une quinzaine. Ce challenge me tenait beaucoup à cœur : pouvoir influencer directement les résultats de l’entreprise, être moins un élément perdu dans la masse, prendre son destin en main. C’était le bon moment » explique Laurent Barremaecker, qui entretemps s’est installé dans le Brabant wallon avec son épouse, également ingénieur, travaillant à la Sabca, mais à Charleroi. Ils auront deux filles, à qui ils transmettront quelques gènes scientifiques : l’ainée est ingénieur de gestion ; la cadette termine un master en chimie, à l’UCLouvain.
De chef de projet à CEO
Chez EHP, Laurent Barremaecker débute comme chef de projet. Puis devient rapidement directeur des programmes, avant de petit à petit prendre en charge la direction des opérations. Pour finalement en avril 2017 reprendre le poste de CEO… « Depuis que je suis CEO, on a doublé la taille de l’entreprise. D’une cinquantaine à une centaine de collaborateurs actuellement. Et on a aussi doublé le chiffre d’affaires en se positionnant sur différents axes métiers qui font que nous sommes leaders européens sur une série de produits. » Avec une volonté de se développer encore plus à l’international… « Depuis une grosse année, nous mettons en place un plan de croissance vers les Etats-Unis, le Canada et dans un deuxième temps l’Asie. Le but est de transformer notre leadership européen en leadership mondial. Nous sommes déjà leaders mondiaux sur une ligne de produits : les caloducs. Nous avons fourni toute la constellation One Web, ce qui a nécessité la mise en place d’une usine de production dédiée de plus de 4.000 items par an. Nous avons là l’outil de production le plus performant au niveau mondial. Même si le focus est essentiellement européen, il y a des parts de marché à conquérir. »
Avant d’occuper ce poste de CEO, Laurent Barremaecker prends le temps de mener pendant dix-huit mois un executive MBA à l’international, à la LSM (Louvain School of Management) de Louvain-la-Neuve. Une formation qu’il trouve « vraiment très enrichissante. Ça m’a permis d’avoir un background théorique à tout ce que je pouvais faire intuitivement. Cela s’est révélé très utile pour plus tard assurer la responsabilité d’un CEO. » Et notre invité de souligner aussi l’importance du réseautage : « on rencontre des gens de tous horizons à l’international. C’est très enrichissant et très rafraichissant. »
Entreprise « familiale »
Loin d’une tour d’ivoire, le CEO s’est entouré d’un comité de direction de six personnes : « une véritable équipe de direction. EHP a toujours été une entreprise ‘familiale’ dans l’esprit d’équipe. Tout le monde se côtoie sans la moindre barrière. L’accessibilité fait partie de nos valeurs et de nos forces. EHP est une entreprise qui appartient à tout le monde, et non une entreprise aux décisions prises verticalement. » L’esprit start-up du départ est préservé…
Mais comment garder cet esprit familial, cet esprit start-up, quand on grandit comme le fait EHP ? « La communication est primordiale pour garder le contact avec le terrain, explique le CEO. Il faut également gérer la croissance du personnel. Passer de quinze à cent personnes nécessite de réévaluer nos process de communication. On peut toujours mieux faire, mais nous sommes très attentifs à informer le mieux possible notre personnel. Je fais régulièrement des présentations sur la stratégie – où nous en sommes dans notre développement, où en sont les nouveaux contrats, quels sont nos process à améliorer – à l’ensemble du personnel. Trois fois par an au moins, en présentiel ou par visioconférence. On se préserve aussi des moments de convivialité avec les équipes. Nous restons très attachés à la Saint-Éloi et aux barbecues de l’été, ou nous faisons venir des foodtrucks pour célébrer l’un ou l’autre succès à la production… Et les collaborateurs organisent entre eux régulièrement des sorties, afin de prendre un verre ensemble. L’ambiance est plutôt bonne… » Même si le Covid a évidemment donné un coup d’arrêt.
Et justement, le Covid… La pandémie n’a pas posé trop de problème à EHP, qui a réussi à garder toutes ses équipes, et à maintenir la production sans coups d’arrêts. « Comme beaucoup, nous avons dû organiser le travail à distance, qui n’était pas très répandu chez nous. Nous étions même craintifs à l’idée du télétravail. Puis nous nous sommes rendu compte que cela pouvait apporter un surcroit de productivité. Mais il faut nuancer. Le télétravail a évidemment ses limites dans une entreprise de production : on a besoin d’être sur le site, de rencontrer ses collègues sur le terrain… Nous avons trouvé l’équilibre » explique notre invité, qui reconnait aisément que le spatial, avec ses délais plus longs, est un des secteurs qui ont relativement moins souffert de la pandémie.
Airbus, un géant discret
Depuis 2017, le groupe Airbus Defence and Space, une filiale du groupe Airbus, est majoritaire à 51% d’EHP. A noter qu’Airbus était présent dans l’actionnariat depuis 2008. « Nous avons donc été incorporés dans le groupe avec ses mécanismes et ses contraintes inhérentes à un grand groupe, détaille Laurent Barremaecker. Mais nous sommes arrivés chez EHP à vivre dans le groupe Airbus comme une entreprise autonome de façon à pouvoir aborder tous les marchés du spatial avec Thales, avec OHB ou les autres donneurs d’ordres. Nous avons la force du groupe Airbus derrière nous, mais nous gardons l’autonomie et l’agilité de la PME qui peut aborder tous les marchés. C’est l’idéal… »
Comme dans bon nombre d’entreprises technologiques, le recrutement s’avère compliqué chez EHP. Quoique… A l’instar de leur CEO, les collaborateurs de la société lui restent fidèles… « C’est excellent pour préserver l’expérience, se réjouit notre invité. Cela dit, nous ne sommes quand même pas très vieux : de mémoire, la moyenne d’âge chez EHP est de 34 ans. Mais recruter reste un problème. Le niveau de formation des gens que nous visons est assez élevé tant pour la partie ‘bureau’ que pour la partie production. Les techniciens que nous recherchons ne sont pas faciles à trouver, comme des soudeurs ou des usineurs. Nous avons cependant toujours réussi à recruter : nous intégrons régulièrement de nouvelles personnes dans nos équipes. Les capacités de réaction vis-à-vis de nos clients, nous les avons parce que nous avons de bonnes équipes et que nous travaillons sur le long terme. »
Ancrage foncièrement wallon
Vers l'Europe ou le reste du monde, l’activité d’EHP est entièrement gérée de Nivelles « où nous construisons une nouvelle extension à notre usine. Nous avions 4.000 m2 disponibles, nous allons en avoir 10.000, pour les bureaux et les ateliers. Une première vague de la production a déménagé à l’été 2022 et on emménage les bureaux d’études et la partie administrative fin mars début avril. Puis la fin de la production sera dans ses pénates à l’été. Nous disposerons de tous les moyens de tests spécifiques au spatial : chambres à vide, des systèmes pour les vibrations, 2.000 m2 de clean room… » Impressionnant. Surtout que l’objectif est de faire profiter d’autres entreprises de ces installations dernier cri. Une envie et une nécessité : vu l’importance des investissements consentis, il est nécessaire de trouver le juste équilibre au niveau de la rentabilité.
De nouvelles installations qui devraient encore renforcer la R&D au sein de EHP. L’additive manufacturing est au menu : « une branche de notre R&D travaille sur ce principe. On étudie comment faire des réseaux de caloducs interconnectés. L’AD permettrait de réinterpréter certaines interfaces spécifiques des caloducs afin d’augmenter les performances du côté de l’évaporation ou de la condensation. Par ailleurs, nous essayons de mettre en place un réseau thermodynamique et thermo-hydraulique entre différentes branches de caloducs qui viendraient répartir la fonction thermique sur l’ensemble du satellite, mais dans un seul et même circuit. Ce qui serait plus efficace en termes de fonctionnement. »
Et le futur ?
Actuellement, EHP dégage une croissance annuelle de 10 à 15%. Évidemment, Laurent Barremaecker souhaite maintenir cette croissance : « le but pour 2023 et d’atteindre les 14 millions d’euros de chiffre d’affaires. Et nous allons continuer à engager : nous serons rapidement entre cent-trente et cent-quarante collaborateurs dans l’entreprise… » En revanche, la croissance par acquisition, si elle n’est pas totalement écartée, n’est pas à l’ordre du jour : EHP souhaite continuer à décrocher des contrats à partir de la Wallonie. Personne ne l’en blâmera…