L'invité du mois : Pierre Servais, CEO de MPP
Sur son site, la société MPP se présente ainsi : « Forte d’une transformation industrielle réussie au cours de 2019, MPP se positionne comme la solution privilégiée dans le domaine de l’aéronautique mais également de l’industrie pour répondre aux besoins des clients pour l’expertise et l’inspection non destructive de leurs pièces ainsi que le polissage de précision et l’ébavurage. » Et l’homme derrière la transformation industrielle réussie, c’est Pierre Servais, un Ardennais pure souche – « treize générations d’Ardennais derrière moi, dont quelques chasseurs ardennais » – né à Bastogne et habitant Libramont. Autre caractéristique, Pierre Servais a « l’aéronautique dans le sang. »
Mais notre invité doit quitter son Luxembourg et ses forêts pour mener des études à Bruxelles, plus précisément à l’École royale militaire, « polytechnique, les mêmes études que Frank De Winne. » La sélection est sévère : deux francophones et deux néerlandophones peuvent y entrer chaque année. « On entre à quatre, et on en sort à deux ou trois. Et on peut quitter l’armée après quinze ans. J’y suis resté dix-sept. Le temps de me créer un excellent réseau : les collègues qui passent dans le civil obtiennent de beaux contrats dans l’industrie ou dans de grandes institutions internationales. »
En effet, les anciens se retrouvent régulièrement autour de diverses traditions militaires ou de rentrées académiques. « Ce n’est pas une mafia, rigole Pierre Servais, mais on garde des contacts serrés. Nous ne sommes pas très nombreux, cela permet de créer des liens plus facilement qu’à l’université qui diplôme des centaines d’ingénieurs par an. Par exemple, un collègue néerlandophone s’est installé à Dubaï et va m’aider à créer de l’activité là-bas. La confiance est naturelle entre nous. »
Ce réseau de la 146ème promotion polytechnique n’est évidemment pas le seul de notre invité, qui reprend : « je me suis également construis mes relations en Wallonie. Nous sommes une petite région dans un petit pays, et on se retrouve facilement dans des événements à l’étranger. Le courant passe. C’est pour ça je crois que nous avons de bons contacts avec le Québec, aussi un petit territoire francophone noyé dans une ensemble anglophone. » L’exemple du Québec n’est pas innocent, comme nous le verrons.
Doctorat à l’ULB-VUB…
Pierre Servais travaille à quatre cinquième temps comme fonctionnaire à la Force aérienne, ce qui lui laisse un jour semaine libre pour de la R&D… « Comme tous mes collègues militaires, je suis bilingue. J’ai entrepris un doctorat à l’ULB-VUB. Les fonds flamands étaient plus importants que les fonds wallons. Nous avons un grand intérêt à la collaboration. » C’est à cette époque que notre invité s’intéresse au contrôle non destructif, et il supervise l’inspection de quelque deux cents avions militaires : F16, C130, hélicoptères… « J’avais quatre-vingt personnes pour mener ce travail. Je fais la même chose aujourd’hui avec une vingtaine d’employés, pour des avions civils, même si j’ai un contrat avec la Sabca pour les F16… »
… puis à Laval, au Québec
« Ma recherche concernait la thermographie, reprend notre invité, et le centre mondial de la thermographie est à Laval, notamment la partie ‘traitement de signal’ et contrôle qualité des pièces. J’ai eu la chance de rencontrer en 2001 le professeur Maldague, d’origine belge. On s’est rencontré lors d’un congrès international et notre belgitude nous a rapprochés. J’ai passé des mois à Québec dans le labo de vision infrarouge où j’ai effectué une grande partie de ma recherche. » S’ensuit en 2009 une première publication sur le contrôle non destructif… qui obtient une belle reconnaissance aux Etats-Unis. Pierre Servais s’est fait un nom, en grande partie grâce à ce contact canadien et ses installations. Il lui restera fidèle, puisqu’il garde des liens avec l’université québécoise : « On travaille beaucoup à distance mais j’y vais trois ou quatre fois par an. Je donnes des cours, je relis des thèses… »
Ce parcours et cette spécialisation amène Pierre Servais à s’intéresser à MPP, qui a été créée 2003 pour développer le polissage de précision, une finition qui relève de l’artisanat, suite à une demande de Techspace Aero, futur Safran Aero Boosters. « Safran trouvait très positif d’avoir à disposition une petite entreprise qui sortait des sentiers battus, qui réalisait des choses hors du canevas industriel standard. Ils ont demandé du ressuage, ce qui est une de mes spécialités, ainsi que de former et certifier des agents. »
En 2018-19, suite aux ennuis rencontrés par Boeing sur son 737 Max, le volume d’affaires rétrécit sévèrement et le patron-fondateur de MPP, arrivé à l’âge de la retraite, décide de fermer boutique… « Mais je trouvais qu’il ne fallait pas fermer cette boîte. On savait que ce n’était qu’un mauvais moment à passer et qu’il y aurait de nouveaux contrats notamment avec le moteur Leap, très développé en Wallonie. J’ai investi et développe toutes les méthodes non destructives, comme à l’armée. Sept méthodes dont la radiographie, la thermographie, les lasers… Il n’existait pas vraiment de laboratoires comme le nôtre dans le pays. Avant, il fallait aller à Toulouse pour avoir les même service. » C’était bien vu. MPP a recruté une dizaine de personnes depuis la reprise, et une quinzaine d’autres engagements sont prévus.
De la Wallonie à la Californie
« La Wallonie est très bien située. Nous avons accès aux marchés de nos voisins plus facilement que si nous étions à Toulouse, qui reste très franco-français. Nous traitons des pièces qui viennent d’un peu partout. Par exemple cette pièce repart pour San Diego… On ne se rend pas toujours compte de nos qualités en Wallonie. Quand ces Californiens sont venus nous auditer et ont vu que nous pouvions effectué le travail demandé en deux jours, ils ont été séduits. Plus de 50% de nos clients sont en Belgique, dont un peu en Flandre. La France est également un marché très important. Mais nous travaillons aussi avec l’Allemagne et les Pays-Bas. On assistera en 2023 à une reprise des commandes, comme avant le Covid. Nous allons retrouver des cadences intéressantes chez Airbus ou chez Safran comparables à celles de 2018… » explique le CEO, foncièrement optimiste.
Actuellement, MPP occupe vingt-deux personnes, dont un staff de quatre cadres : Pierre Servais est entouré d’un CFO qui est un des fondateurs de la société – et qui dispose encore d’un quart du capital, le reste étant dans les mains de notre invité –, d’un directeur commercial qui a travaillé pour Boeing à Seattle, et d’un directeur de production issu d’une fonderie. « Nous formons vraiment une excellente équipe, tant du côté du staff que des autres membres du personnel, des techniciens hautement qualifiés spécialisés dans les contrôles non destructifs. Nous avons décroché la certification généraliste ISO 9001 et les certifications aéronautiques EN9100 et Nadcap, un programme nord-américain d'accréditation des procédés spéciaux aéronautiques. Nous devons être deux en Belgique à avoir cette certification, mais pas dans le même domaine. » Ces deux certifications ensemble sont effectivement assez rares.
Projets Skywin
MPP est engagé sur plusieurs projets du pôle, dont un sur les matériaux composites commencé en 2018, avant l’arrivée de Pierre Servais dans MPP. Mais celui-ci y était toutefois présent au travers de sa société NDTPRO, avec laquelle il travaille pour une vingtaine de sociétés en Belgique, dont la Sonaca ou la SABCA. Un deuxième projet mené avec X-RIS est mené dans la radio digitale et l’analyse 3D. Et enfin, un nouveau projet vient d’être labellisé, fin novembre, dans le « structural health monitoring » (voir article SW-ICOM2C3D : nouveau projet labellisé dans cette même newsletter), soit la surveillance santé de la matière au travers de capteurs installés dans la matière même pour voir quand la pièce va casser. « Ce contrôle non destructif embarqué va nous emmener vers les drones, explique le CEO, avec Flying Cam comme client final. Nous allons valider nos systèmes sur les drones avec l’idée de les transposer par après sur des avions. D’autres clients sont intéressés, comme Solvay ou Engie Green pour leurs éoliennes, également en matériaux composites. »
Et MPP, qui atteindra rapidement les trente personnes employées, ne manque pas de projets… La société travaille avec l’Imperial College de Londres sur la thermographie, finalise une machine robotisée unique au monde avec un scanner linéaire thermographique, travaille avec Optrion sur une méthode laser, et évidemment approfondit la digitalisation de son expertise, ce qui lui amènera de nouveaux clients. A noter aussi un important projet de développement sur la 3D avec AnyShape… Ainsi qu’une extension au Moyen-Orient et un partenariat avec une société de Montréal… « Nos clients viennent de tous les secteurs, mais essentiellement de l’aéronautique, à 80%. C’est dans ce secteur que les exigences sont les plus poussées. Dans le futur, je note l’importance de l’hydrogène : pour les bonbonnes, ce sont des méthode de vérification à base de lasers, une de nos spécialités. Dans le prochain projet qui va démarrer, nous avons une partie sur le contrôle des matériaux composites mis sous pression – nous irons jusque 900 bars de pression » conclut Pierre Servais, toujours optimiste. Avec raison…